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Emilie et le tableau secret

Emilie le savait depuis qu’elle était toute petite. En fait, elle l’avait toujours su, mais elle n’en n’avait jamais parlé à personne. 

 

Elle aurait pourtant tellement aimé partager son secret avec quelqu’un, un humain, un animal ou même un lecteur inconnu en se livrant dans son journal intime mais, à chaque fois qu’elle avait essayé, une main invisible s’était posée sur sa bouche ou sur son bras pour l’empêcher de parler et d’écrire. 

 

Lasse de ce combat dont elle ne sortait jamais victorieuse, elle décida un jour d’utiliser une ruse pour s’exprimer tout de même et libérer son coeur et son cerveau qui voulaient tant se confier à une oreille amicale ou à un autre coeur. 

 

Elle choisit d’insérer chaque jour une lettre d’un mot de son secret à l’intérieur du tableau qu’elle était en train de créer et qu’elle appelait déjà dans son coeur « Liberté ». 

 

Chaque matin, une fois la lettre inscrite sur sa toile avec une encre indélébile, elle la recouvrait de peinture, tout en mémorisant son emplacement afin de préparer la position de la lettre suivante qu’elle viendrait déposer le lendemain comme une offrande au coeur d’un jardin merveilleux. 

 

Puisqu’il lui était impossible de prendre des notes sur son projet, elle devait systématiquement visualiser par la force de sa pensée et de sa mémoire l’état d’avancement du texte qu’elle cachait sous sa peinture. 

 

Lorsque le dernier jour de son rituel quotidien commença, elle admira longuement le sublime et énigmatique lever de soleil rose orangé qui dessinait des arabesques colorées et chantantes sur les collines en direction de la rivière, et elle pria très fort pour recevoir l’aide dont elle avait besoin. 

 

Puis, tournoyant sur elle-même, elle commença à composer une danse étrange qu’elle-même découvrait au fur et à mesure, tout en chantant un air qu’elle n’avait jamais entendu mais qu’elle avait l’impression de connaître par coeur. 

 

Lorsqu’elle termina de peindre la dernière lettre du dernier mot de son secret, elle se sentit émue aux larmes. 

 

Elle choisit une jolie couleur mauve pour la recouvrir et cacher ainsi le dernier fragment de son fardeau. 

 

Soudain, un rayon de soleil puissant fit irruption dans son atelier et se posa avec perfection sur son oeuvre. 

 

Elle fut tellement éblouie par la puissance de ce phénomène qu’elle perdit connaissance et ne se réveilla que vingt-quatre heures plus tard, étonnée de se retrouver allongée par terre dans son atelier.

 

Son tableau avait disparu et elle fut incapable de se souvenir de son secret, avec lequel elle avait pourtant grandi. 

 

Seuls lui restaient en mémoire un chant envoûtant et une danse magnétique qui la rendaient ivre de bonheur, libre et reconnaissante d’être elle-même, enfin! 

 

Alexandra Fadin
(extrait de "Contes Merveilleux du Quotidien", tous droits réservés)

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