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Sophie et l'heure magique

Ce que Sophie aimait plus que tout au monde, c’était faire de la magie. 

 

Elle aurait tellement aimé avoir la force, le courage et l’audace d’écrire « magicienne » sur sa carte de visite plutôt que le nom de sa profession, qui ne lui semblait pas du tout adapté pour décrire ce qu’elle faisait véritablement et encore moins pour exprimer qui elle était profondément. 

 

Un jour, elle oserait peut-être le faire et sa vie en serait alors transformée pour toujours. 

 

Afin de faire entrer la magie concrètement dans sa vie, elle commença par enlever, sur sa carte de visite comme dans sa vie, tout ce qui lui paraissait pesant et inutile ou inconvenant pour établir un contact et construire une mémoire avec l’autre. 

 

S’appliquant à ôter chaque jour de la matière avec patience et détermination, elle avait la sensation de travailler et retravailler une peinture ou une sculpture dont la naissance était vitale et fondamentale dans sa vie et dans son oeuvre. 

 

A la fin, il ne resta plus que quelques traces de couleurs et un numéro de téléphone, qu’elle remplaça bientôt par quatre chiffres séparés par deux points. 

 

Elle avait choisi le chiffre 1, car il incarnait pour elle le commencement et qu’elle le trouvait chargé d’énergies joyeuses, positives et stimulantes, et la répétition, quatre fois, pour évoquer les quatre pieds d’une chaise ou d’une table, les quatre murs d’une maison, les quatre membres d’un corps humain et surtout les quatre pétales magiques d’un trèfle à quatre feuilles. 

 

Inspirée par sa construction, elle décida que chaque jour, à 11:11 du matin (et du soir dans certains cas, pour les anglo-saxons qui s’arrêtent au chiffre 12 lorsqu’ils expriment le temps d’une journée, chaque moitié constituant un avant ou un après, deux entités complémentaires), il se passerait quelque chose de magique, pour elle-même ainsi que pour les détenteurs de sa carte de visite, et qu’elle n’aurait alors nul besoin d’utiliser un téléphone pour communiquer avec ces personnes qu’elle avait intégrées dans son cercle restreint en suivant un rituel très particulier. 

 

Un jour, elle comprit que l’inscription du terme « magicienne » sur sa carte était lui-même devenu inutile, car sa carte restait systématiquement imbibée de magie jusqu’à ce que son possesseur n’en eut plus besoin, et que ce qui se produisait dépassait sa propre personne et n’appartenait à personne, pas même à elle. 


Alexandra Fadin
(extrait des "Contes Merveilleux du Quotidien", tous droits réservés)

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