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Une Sculpture par Jour / Chronique 18 juillet 2013

13h23 

Théâtre du Châtelet (Paris 1er) 

Cours public du Ballet National de l’Opéra de Vienne.

Je suis assise à l’orchestre, au 9ème rang. 

J’aimerais faire ma sculpture du jour dans ce lieu mythique, au son du piano et en regardant les danseurs s’exercer à la barre. Une nouvelle danseuse naîtra peut-être? Vais-je réussir à créer avec tous ces gens autour de moi et sans m’empêcher de profiter du spectacle ? La création de ma sculpture du jour me permettra-t-elle au contraire de profiter encore plus de ce moment, de m’immerger plus pleinement dans cette atmosphère de cours de danse classique ? 

Et moi qui n’arrive jamais à faire deux choses en même temps ! La seule façon de le découvrir est de tenter. 

 

13h30 

Je sors mon matériel, et je commence à modeler un corps avec une pâte porcelaine bleue (celle d’hier, qui s’est vue finalement recouverte de scotch alu). Les yeux fixés sur la scène, je travaille plus avec les sensations du toucher qu’avec le regard. C’est une nouvelle expérience. 

 

14h 

J’ai terminé ma 199ème sculpture de l’année. Elle ressemble à quelque chose mais pas vraiment à ce que j’aurais aimé faire. J’ai envie d’aller plus loin, de rajouter un peu plus de muscles, un peu de mollet par-ci, plus de fessiers et de quadriceps par-là. Mais je choisis de profiter du spectacle plutôt que de me concentrer sur les finitions. 

 

14h07 

Quel plaisir de voir ces beaux corps danser ! Ce n’est pas une mais plusieurs sculptures que j’aimerais faire pour rendre hommage à la grâce, la vigueur et la légèreté de ces modèles parfaits ! Malheureusement, le temps de la sculpture n’est pas celui de la danse. Et c’est justement la tentative d’incarner dans la matière ces instants fugaces qui me captive. Aussi, je pense qu’en vivant la danse dans mon propre corps j’enregistre des sensations physiques, des émotions et une perception du mouvement qui me permettent ensuite de les restituer à ma manière. 

 

14h14 

J’ai changé le mouvement de ma sculpture. Elle se rapproche maintenant plus d’une danseuse ou d’un danseur classique. Inspirée de cette belle énergie, j’ai moi-même une très forte envie de danser. Dommage que le cours ne soit pas accessible au public! Ma sculpture danse pour moi. Elle est vivante (la matière n’a pas encore séché). C’est une silhouette en mouvement, ni homme ni femme, ni nu ni habillé, ou tout cela à la fois. Une ombre ou un vrai corps ? A vous de décider. 

 

14h36 

Révérence et fin du cours. Le rideau tombe, les gens se lèvent pour partir et moi je reste pour photographier ma sculpture devant la scène. 

 

14h43 

La salle se vide. 

J’aperçois Manuel Legris « en vrai", à deux mètres de moi. Il discute avec un groupe et a l’air accessible. Vite, je sors une plaquette de mon sac, ce serait dommage de manquer l’occasion. Le vigile me barre la route et me demande de regagner la sortie car le théâtre va fermer ses portes. Non ! Impossible ! « S’il- vous-plaît Monsieur, je dois absolument lui parler, j’en ai pour deux minutes ». Ouf ! Le barrage passé, voici Manuel Legris qui s’éloigne de moi et commence à ouvrir la porte d’accès aux loges. Non ! « S’il- vous-plaît ! ». Il se retourne « oui ? ». Alors là, tout s’embrouille, j’ai quelques secondes pour tout dire. Je ne sais même pas si ma première phrase est cohérente. Cela a dû ressembler à « Bonjour...euh...je... euh...vous...euh...j’adore votre travail ». Et oups ! Qu’est-ce qu’il est beau de près ! Un regard bleu super craquant. Le temps s’arrête. Je reprends mon souffle. « Tenez, je vous donne ma plaquette. Je fais de la sculpture. Cela peut peut-être vous intéresser ». J’ai battu mon record de mots à la minute, non, à la seconde. Le tout a duré combien de temps ? Cela m’a semblé passer comme un éclair. Et pourtant, quand j’y repense, je me repasse le film très, très lentement et cela semble durer une éternité. Lui me répond par un sourire. A-t-il dit merci ? Ou un autre mot ? Dans mon monologue hyper-excité et stressé, j’ai dû lui dire au revoir comme une voleuse avant de courir récupérer mes affaires, le sourire aux lèvres. Je remercie le vigile. 

Encore quelques photos dans le hall devant la photo géante de Noureev, puis à l’extérieur du théâtre devant les affiches des « Etés de la Danse » par le Ballet National de l’Opéra de Vienne. 

 

14h56 

Je me dis que j’aurais dû demander à Manuel Legris si je pouvais prendre une photo de lui avec ma sculpture du jour créée au Théâtre du Châtelet devant ses danseurs qui s’entraînaient, cela aurait été super pour mon blog ! Et puis, j’aurais dû lui dire que je faisais des sculptures de danseurs classiques, que la danse est mon autre passion. Et puis... tant pis ! Au moins j’ai saisi ce moment et il a maintenant en sa possession un document présentant quelques uns de mes bronzes. Une pensée me traverse l’esprit : va-t-il regarder ma plaquette ? La jeter ? Stop ! Je me change les idées en prenant des photos de ma sculpture sur le Pont au Change. Paris Plage se prépare, la Conciergerie restaurée est superbe, les touristes affluent et se réjouissent de la beauté de Paris et du beau temps. Tout va bien. 

 

15h30 

J’ai réservé mon billet pour la représentation de Don Quichotte samedi soir et je m’installe à la terrasse du Sarah Bernhardt pour déjeuner et me remettre de mes émotions. Déjeuner typiquement parisien : croque madame, salade, frites et une bière. J’en profite pour poursuivre l’écriture de ma chronique du jour dans mon petit carnet. Le serveur, charmant, me dit qu’il relèvera les copies quand j’aurai terminé. Cela tombe bien, j’ai besoin d’une relecture ! Finalement, il ne l’a pas fait mais j’ai gagné une invitation au Monténégro ! 

 

16h42 

Je quitte le Sarah Bernhardt, passe devant le Théâtre de la Ville avant de m’aventurer sur l’Ile de la Cité. 

 

18h02 

Je termine une séance photo au son des cloches de Notre-Dame, majestueuse dans sa 850ème année. Où es-tu Quasimodo ? Serais-tu déguisé en marchand de glaces ambulant ? Je suis entourée de touristes et de pigeons. Des touristes avec des pigeons sur la tête, une touriste en train d’embrasser un pigeon. Incongru. Cela ne me viendrait pas à l’esprit de faire cela. Mais c’est une bonne idée de sculpture, bien que je n’aie jamais créé d’animaux. Un pigeon danseur stylisé, pourquoi pas. Je préfère quand même la colombe, plus poétique et romantique. 

 

18h11 

Quelle suite vais-je choisir pour mon parcours parisien ? Visite de Notre-Dame ? Trop tard. L’Ile Saint- Louis et une glace Bertillon ? Pourquoi pas. J’entends de la musique. Allons danser ! Je m’installe sur les gradins provisoires devant Notre-Dame et je me régale avec un spectacle de danse hip-hop pétillant d’énergie et de bonne humeur. Une bonne source d’inspiration pour de prochaines sculptures. 

 

20h 

J’embarque à bord d’un Batobus sur le Quai Montebello (Paris 5ème). Je verrai bien en cours de route où je m’arrêterai. Presque plus de batterie sur mon appareil photo, et l’Iphone s’est arrêté vers 18h. Je dois calmer ma fièvre photographique. Se déplacer à Paris en bateau en fin de journée, c’est paisible et tellement inhabituel pour moi. Et entourée de vacanciers du monde entier, c’est très dépaysant. J’ai un nouveau job depuis aujourd’hui : photographe pour touristes. Je me transforme également occasionnellement en guide. Cela dit, je fais moins de rencontres que lorsque je voyage à l’étranger. Ici, c’est un dialogue muet qui s’installe avec les gens, touristes ou non : des regards, des sourires étonnés, bienveillants, une curiosité et une certaine solidarité. On me demande fréquemment si je n’ai pas besoin d’aide pendant mes séances photos. Non merci, vous ne pouvez rien pour moi. Quelle idée de vouloir prendre en photo une sculpture en pâte à modeler ultra légère suspendue à un fil de nylon tout fin ! La mise au point est quasi impossible sur ma sculpture qui danse et virevolte dans tous les sens. Elle enchaine les tours et déboulés avec une vitesse impressionnante, presque aussi bien que le danseur virtuose que j’ai pu admirer au Théâtre du Châtelet ce midi. Le vent rajoute une difficulté non négligeable mais comme je suis très têtue, je prends 10, 20, 30, 100 photos pour être certaine d’en avoir au moins une réussie (ma sculpture étant quasiment en 2D, il n’y a que deux angles intéressants) A la fin, je sature. 

Demain, je change de matière et je fais une sculpture en 3D facile à photographier.

Et si vous me voyez embrasser un pigeon, c’est que je suis devenue une vraie touriste ! 

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