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Katarina et le corbeau

Le premier soir de la pleine lune du Nouvel An de l’année du Papillon, Katarina, seule dans le jardin, brandit son stylo vers le ciel avec la même véhémence que s’il s’était agi d’un sabre destiné à couper dans le vif et à ôter immédiatement tout mouvement de vie non invité à se manifester autour d’elle dans un rayon de cinq mètres à la ronde. 

 

Puis elle retourna dans sa chambre et ouvrit avec précaution le manuel de guérison qu’elle avait hérité de son arrière-grand-mère et qui avait miraculeusement resurgi dans sa vie après avoir tout aussi mystérieusement disparu, laissant un vide de vingt ans s’installer en elle. 

 

Comme son aïeule le lui avait prédit sur son lit de presque morte, elle répéta plusieurs fois, avec une fervente application, chaque syllabe de la formule magique, en agitant son bras gauche vers le ciel tandis que sa main droite coupait l’air en mouvements circulaires avec l’arme qui avait maintes fois sauvé la vie de son arrière-grand-père lorsque les menaces s’étaient concrétisées. 

 

Lancée avec passion dans sa chorégraphie qui devait respecter la tradition des fées de son village, elle ne vit pas entrer le corbeau noir qui décida, tel un prince élégant et galant, d’attendre le moment opportun pour interrompre ce bal, ou plutôt ce ballet solitaire. 

 

La pauvre petite, drapée dans un tissu informe censé imiter une robe de princesse, semblait envoûtée par sa danse. Tournoyant sur elle-même avec dévotion, elle disparaissait peu à peu sous la matière argentée de cet habit de fête improvisé et l’oiseau, spectateur médusé de ce spectacle inattendu, perdit la notion du temps. 

 

Il hésita tellement longtemps avant de se manifester que, lorsque son corps se décida enfin à entrer dans la danse, Katarina avait déjà disparu, remplacée par une créature étrange, pour laquelle il n’aurait su dire si elle appartenait au règne animal, au monde fantastique ou bien à une rêverie construite par son imaginaire débordant. 

 

Alors qu’un dernier soupçon de vie semblait encore s’agiter sous le drap magique, il tenta de toutes ses forces de crier sa frayeur mais il ne réussit qu’à s’étouffer. 

 

Lorsqu’il reprit ses esprits et retrouva une respiration normale, il n’eut ni l’énergie ni le courage d’exprimer son désespoir. 

 

Il savait qu’il devrait attendre vingt longues années pour assister de nouveau à ce phénomène sensationnel, ce rituel fascinant de la Transformation, et qu’un jour, lorsqu’il serait prêt, son tour viendrait de se glisser sous le drap magique pour incarner la Déesse Invisible et redevenir Femme, pour quelques instants ou pour l’éternité. 

 

Alexandra Fadin
(extrait de "Contes Merveilleux du Quotidien", tous droits réservés)

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